LE CONSEIL SCIENTIFIQUE
À l'heure du doute, lorsque, sombre, j'interroge le destin de ma patrie, tu es ma seule consolation, mon unique soutien, ô langue russe, grande, forte, libre et franche ! Sans toi, comment ne pas désespérer de ce qui se passe chez nous ? Mais il n'est pas possible de croire qu'une telle langue n'ait pas été donnée à un grand peuple !
Ivan Tourguéniev - Juin 1882.
CONSEIL SCIENTIFIQUE DU MUSÉE IVAN TOURGUENIEV
Le Conseil scientifique du Musée européen Ivan Tourguéniev est un groupe de travail consultatif et indépendant qui donne son avis sur les actions de nature scientifique menées par le musée et pour le musée et assure la direction éditoriale de la publication des Cahiers.
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Jean-Louis BACKÈS, professeur émérite de Littérature générale et comparée à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université, comparatiste et slaviste éminent
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Antonia FONYI, présidente de la Société Mérimée, directrice des Cahiers Mérimée (France).
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Olga GORTCHANINA, tourguénieviste et coordinatrice du Centre Ivan Tourguéniev pour les Littératures en Émigration - CITELE - à l’université de Mons (Belgique). Coordinatrice du Conseil scientifique.
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Yvan LECLERC, professeur émérite à l’université de Rouen et président des Amis de Flaubert et de Maupassant (France).
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Polina de MAUNY , docteure en Littérature générale et comparée, enseignante à l’université Sorbonne Nouvelle (LEA) - INALCO, L1 et M1 ; à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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Vera MILTCHINA, historienne des littératures russe et française, grande spécialiste des rapports franco-russes littéraires, diplomatiques et culturels.
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Alain PAGÈS, grand spécialiste de Zola, Professeur émérite, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3.
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Elena PETRASH, chercheur en chef du Département du livre rare de la Bibliothèque Tourguéniev à Moscou et tourguénieviste (Russie).
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Vassili SZCZUKIN, professeur à l’université Jagellon de Cracovie, spécialiste des lettres russes du XIXe siècle et tourguénieviste (Pologne).
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Nickolas ZEKULIN, professeur émérite à l’université de Calgary au Canada, spécialiste de littérature russe et comparée, traductologue et tourguénieviste.
Un manuscrit inconnu
L'ATVM acquière, en mai 2023, un manuscrit inconnu d'Ivan Tourguéniev. Non daté, non signé, en parfait état, il a été identifié, daté, étudié et transcrit par les chercheurs du conseil scientifique du musée. C'est une note de Tourguéniev au Congrès International des Écrivains de 1878, dont il était le vice-président et Victor Hugo le président.
Il fut présenté au public lors d'une visio-conférence internationale
le 1er Septembre 2023 à 20h30 heure de Paris.
Puis exposé à la Datcha à partir du lendemain.
Conférence donnée par Nicholas Zekulin, également membre du conseil scientifique,
professeur émérite à l’université de Calgary au Canada, spécialiste de littérature russe et comparée, traductologue et tourguénieviste.
La note inconnue de Tourguéniev
page 1
page 2 et page 3
Transcription de la note de Tourguéniev
La situation des littératures russes, tout en n’étant pas aussi satisfaisante qu’on pourrait le désirer, est peut-être meilleure que dans certains pays plus avancés en civilisation, où, à côté d’autres manifestations de la vie publique, les lettres n’ont plus cette importance, cette prépondérance qu’elles ont encore en Russie. Nous avons déjà une presse, comme expression de l’opinion publique : nous n’avons pas encore de vie politique, et nous ne sommes guères [sic] sortis de ce que j’appellerais volontiers l’époque pédagogique de la littérature. C’est, par parenthèses, cette situation particulière, qui nécessite chez nous l’abondance de traductions des langues étrangères, surtout dans le domaine des sciences élémentaires, des manuels, etc. Vu le nombre relativement assez minime de gens sachant manier la plume - et grâce à l’augmentation progressive et très rapide du public lisant – les littératures russes sont en général assez bien rétribuées. Tenus, il faut l’avouer, en une certaine suspicion par le Gouvernement, ils ont su maintenir leur indépendance.
Les talents, on peut le dire, abondent ; il y en a quelques-uns de très remarquables, qui brillent surtout par l’originalité ; ceux-ci sont rétribués presque autant que les meilleurs écrivains en Angleterre. — Le comte Léon Tolstoï p.ex. et d’autres reçoivent jusqu’à 600 r. (plus de 1800 fr) par feuille d’impression.
Le manque d’instruction solide est le plus grand défaut des gens qui écrivent en Russie ; l’absence de critique judicieuse, de direction intelligente et ferme se fait aussi sentir. La littérature russe, ainsi que le pays lui-même, est entrée dans une époque de transition, de transformation presque ; elle en a tous les désavantages. — On peut pourtant indiquer quelques bons côtés à cet état de choses : la nécessité de principes reconnus, servant de règle de conduite ; l’impossibilité d’une critique vénale ; la tendance des écrivains de dire la vérité, quelque dure qu’elle soit, en parlant au public — et le désir de ce public d’entendre cette vérité toute entière, sans ménagement et sans voiles, l’encouragement même donné par lui à la satire la plus hardie etc. –
Certes, il y des coteries en Russie, et des exploiteurs, et de la misère dans ce qu’on pourrait nommer les bas-fonds de la littérature ; mais ce sont là des maux à peu près inévitables. — On a essayé de remédier à cette misère. Il existe à Pétersbourg depuis 1862 une société de secours aux littérateurs et aux savants indigents, qui possède déjà un fond assez considérable (plus de 200 000 fr) : elle en distribue jusqu’à 25 000 par an. — Nous avons aussi une société d’auteurs dramatiques. Le contingent de femmes qui écrivent s’élève d’année en année – et ce ne sont pas les membres les moins utiles de notre société littéraire, les femmes russes étant généralement plus avancées que les hommes.
Je termine en faisant remarquer que, contrairement à ce que dit le rapport de M. Alfonso, ce n’est pas le théâtre qui rapporte le plus chez nous, ensuite le journalisme, en dernier lieu le roman ; il faudrait peut-être renverser l’ordre pour représenter exactement ce qui se passe en Russie. Quant aux poètes, il n’y en a plus chez nous ; le réalisme triomphant sur toute la ligne, ils ont dû se taire ; ils pourront encore renaître. Ce serait dommage qu’un aussi magnifique instrument que la langue russe ne trouvât plus de main habile pour le faire résonner. Le renouveau de popularité de notre grand poète Pouchkine semble le présager.
Synthèse des recherches et explication de la note par Nicholas Zekulin