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TOURGUÉNIEV ET SES AMIS
Gustave Flaubert

"Croisset, près Rouen. 16 mars (1863)

Cher Monsieur Tourgueneff, 

Comme je vous suis reconnaissant du cadeau que vous m'avez fait ! Je viens de lire vos deux volumes, et je ne puis résister au besoin de vous dire que j'en suis ravi.

Depuis longtemps, vous êtes pour moi un maître. Mais plus je vous étudie, et plus votre talent me tient en ébahissement. J'admire cette manière à la fois véhémente et contenue, cette sympathie qui descend jusqu'aux êtres les plus infimes et donne une pensée aux paysages. On voit et on rêve. 

De même que quand je lis Don Quichotte je voudrais aller à cheval sur une route blanche de poussière et manger des olives et des oignons crus à l'ombre d'un rocher, vos Scènes de la vie russe me donnent envie d'être secoué en télègue au milieu des champs couverts de neige, en entendant les loups aboyer. 

Quel art vous avez, comme vous amenez vos effets, quelle sureté de main !

Tout en étant particulier vous êtes général. (...) Mais ce qu'on n'a pas assez loué en vous, c'est le cœur, c'est-à-dire une émotion permanente, je ne sais quelle sensibilité profonde et cachée.

Gustave Flaubert

Cette page est extraite du "Guide du visiteur" édité à l'occasion de l'exposition
Spasskoïe - Bougival, une histoire d'amour et de liberté. Ivan Tourguéniev, passeur de cultures et visionnaire pour la paix

à la Maison Losseau, Musée Littéraire du Hainaut à Mons en Belgique.


Ivan Tourguéniev fut un correspondant très prolifique : en cours d’édition à la Maison Pouchkine à Saint-Pétersbourg (Académie des Sciences de la Russie), sa correspondance réunit plus de 6 000 lettres ! Parmi les destinataires de Tourguéniev, nous retrouvons la fine fleur intellectuelle européenne de l’époque : Hippolyte Taine, George Sand, Gustave Flaubert, Edmond de Goncourt, Jules Michelet, Alphonse Daudet, Pauline et Louis Viardot, Thomas Carlyle, Moritz Hartmann, Ludwig Pietsch, William Ralston, Jules Hetzel, Paul Bourget, Théophile Gauthier, Charles Dickens, Georges Elliot, Henry James, Ernest Renan, Victor Hugo, Sainte-Beuve, Edmond Ebout etc….

Gustave Flaubert

Gustave Flaubert fut très certainement l’ami le plus cher de Tourguéniev en France. Les deux hommes se rencontrèrent en février 1863 à un des « dîners Magny », fondés une année plus tôt par un groupe d’écrivains et d’artistes, parmi lesquels on retrouvait notamment le dessinateur Paul Gavarni, Sainte-Beuve et les frères Goncourt. Peu de temps après, Flaubert envoyait à Tourguéniev un premier mot : « Depuis longtemps, vous êtes pour moi un maître. Mais plus je vous étudie, et plus votre talent me tient en ébahissement ». Le début d’une longue et sincère relation fut ainsi établi. « Mon cher ami […] il y a peu d’hommes, de Français surtout, avec lesquels je me sente si tranquillement à mon aise et si éveillé en même temps », avoue Tourguéniev dans une de ses lettres, cinq ans plus tard. Initialement attirés l’un envers l’autre par une réciproque admiration littéraire, les deux écrivains partagèrent, durant près de dix-sept ans – jusqu’à la mort de Flaubert en 1880 -, une sympathie profonde, un amour fraternel qui trouva son expression également dans une collaboration régulière. Tourguéviev traduisit plusieurs œuvres de Flaubert – deux des trois « Contes », « Hérodias » et « La Légende de Saint Julien l’Hospitalier », en vue de leur publication en Russie, dans le « Messager de l’Europe » de Stassioulévitch.

La disparition de Flaubert, en 1880, sera un coup dur pour Tourguéniev. « Je n’ai pas besoin de vous parler de mon chagrin : Flaubert a été l’un des hommes que j’ai le plus aimé au monde », écrira-t-il à Emile Zola à la mort de son grand ami, qu’il apprendra lors de son séjour en Russie, en pleine préparation de la cérémonie d’inauguration du monument à la gloire de Pouchkine. « Ce n’est pas seulement un grand talent qui s’en va, c’est un être d’élite, et un centre pour nous tous », ajoutera-t-il. Après le départ de Flaubert, Tourguéniev mit tout en œuvre pour honorer la mémoire du brillant écrivain : il fonda un Comité en vue de récolter des fonds pour un monument à Flaubert et n’hésita pas à solliciter la participation des admirateurs russes de l’auteur de « Madame de Bovary » à cette entreprise, au prix parfois de critiques virulentes.

Guy de Maupassant

Guy de Maupassant

Un autre écrivain proche de Tourguéniev durant les années 1870 fut sans aucun doute Guy de Maupassant. Plus jeune que la plupart de ses collègues de plume que l’écrivain russe fréquentait à Paris, Maupassant compte parmi les écrivains sur lesquels Tourguéniev exerça l’influence la plus importante. C’est à la fin de l’année 1878 que Tourguéniev rencontra le futur auteur de « Boule de suif », jeune journaliste protégé de Flaubert. Après l’avoir longuement côtoyé, Maupassant consacra plusieurs articles à l’homme de lettres russe, dont le premier fut publié dans « Le Gaulois » sous le titre « L’inventeur du mot ’nihilisme’ » (1880). Dans ce billet, Maupassant retrace le parcours littéraire de Tourguéniev et met en exergue le caractère percutant et contemporain de son œuvre. Lorsque, encouragé par Flaubert, Maupassant se lança lui-même dans l’aventure littéraire et publia son premier récit, « Boule de suif », Tourguéniev fut parmi ceux qui reconnurent et saluèrent le talent narratif du jeune auteur. Maupassant s’étant retrouvé orphelin à la disparition de Flaubert, Tourguéniev reprit la mission de mentor de ce dernier, guidant et conseillant Maupassant lorsque cela était nécessaire. Reconnaissant, Maupassant lui dédiera son premier recueil « La Maison Tellier », en 1881. Tourgueniev fit également beaucoup pour promouvoir les œuvres de son jeune protégé en Europe de l’est et en Russie : c’est grâce à sa recommandation que le récit « En famille » fut traduit en russe et publié dans le journal de Stassioulévitch.

Prosper Mérimée

Ivan Tourguéniev et Prosper Mérimée se rencontrent en 1857. Mais les deux hommes se connaissaient déjà par leurs œuvres. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une grande amitié mais plutôt d’admiration et de respect réciproques, les deux hommes ayant beaucoup de choses en commun. Intellectuels, polyglottes, passeurs de cultures, ils multiplieront leurs collaborations. Tourguéniev fera découvrir à Mérimée certaines perles de la littérature russe : en 1865, ils traduisent ensemble « новичок » (« le Novice »), poème de Mikhaïl Lermontov. Mérimée traduira plus tard certains récits de Tourguéniev (« Apparitions », « Chien »…), préfacera « Pères et fils », paru en France en 1863, fera un travail de rédaction remarquable à la traduction du roman « Fumée ». « Nous les Russes devons saluer ici un homme qui nourrissait un attachement sincère et chaleureux pour notre peuple, notre langue et tout notre mode de vie, un homme qui révérait Pouchkine, comprenait et mesurait vraiment en profondeur la beauté de sa poésie. « A titre personnel, je pleure la perte d’un ami… » écrira Tourguéniev dans sa nécrologie à Mérimée en 1870.

Prosper Mérimée
Alphonse Daudet

Alphonse Daudet

Alphonse Daudet s’éprit d’admiration pour les écrits de Tourguéniev dès sa jeunesse, lorsqu’il découvrit les « Récits d’un seigneur russe », la version de « Mémoires d’un chasseur » proposée par Charrière. Il se laissera ensuite inspirer par la prose tourguénievienne dans la rédaction de certaines des « Lettres de mon moulin », et dédiera aussi à Tourguéniev un essai biographique rendant hommage au sens esthétique et à la maîtrise professionnelle de l’écrivain russe, à l’étonnante capacité de son ami et maître de ressentir la nature dans sa plénitude. Tourguéniev, quant à lui, aida Daudet à se faire publier en Russie : l’écrivain signa pas moins de vingt-sept correspondances dans la revue littéraire « Temps nouveau » entre 1878 et 1879.

George Sand

Tourgéniev rencontre George Sand en 1845 à Courtavenel, chez les Viardot. Après cette première entrevue, l’autrice de « Consuelo » et l’écrivain russe eurent peu de contacts et ne se revirent que dans les années 1870. Tourguéniev rendit alors plusieurs visites à George Sand à Nohant, parfois en compagnie des Viardot, parfois seul. Malgré une opinion mitigée sur ses œuvres, Tourguéniev nourrit pour l’écrivaine un grand respect doublé d’une indéniable sympathie pour la personne elle-même.

George Sand
Émile Zola

Émile Zola

Emile Zola considérait Tourguéniev comme un maître, doublé d’un guide spirituel : l’écrivain russe appuya la candidature de l’auteur de « La Faute de l’abbé Mouret » auprès de l’éditeur russe Stassioulévitch, ce qui fournit à Zola du travail au moment où sa réputation littéraire était encore balbutiante.

Victor Hugo

Impossible de dénicher le moindre compliment à l’égard de Victor Hugo dans l’ensemble de la correspondance de Tourguéniev. Des tempéraments littéraires trop différents ?

La rencontre personnelle des deux hommes eut lieu au milieu des années 1870, même si tout porte à croire que les écrivains se connaissaient déjà bien par écrits interposés. Leur réputation littéraire n’est plus à faire à l’époque. Gustave Flaubert admirait Hugo, ce qui put influencer favorablement Tourguéniev. Hugo et Tourguéniev nouent enfin des liens et se découvrent des affinités dans leurs opinions politiques. Tourguéniev adhère notamment à l’idée des Etats-Unis d’Europe prônée par le célèbre Français. En 1878, les deux hommes se côtoient au Congrès littéraire international de Paris sur les droits d’auteur, présidé par Victor Hugo, et avec Tourguéniev à la vice-présidence.

Victor Hugo
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